Quantcast
Channel: J’ai pas fait Express » Quotidien de rédac
Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Comment gérer ses parents quand on est journaliste?

$
0
0

Mon téléphone de bureau sonne toujours trop fort. Il sonne, et je sursaute. La dame du standard me chantonne à l’oreille : « Bonjour, il y a quelqu’un qui veut vous voir, je le fais monter? » Elle a comme un fond de rire bloqué dans la gorge. C’est louche. « Vous savez qui c’est? » Bien sûr qu’elle sait. « C’EST VOTRE PAPA ! Je vous l’envoie ? »

Ma colonne vertébrale se serre.
– Non, je chuchote. Non non non non.
– Ah ! Attendez ! IL VEUT VOUS PARLER ! JE VOUS LE PASSE.

Je bloque ma respiration, et regarde autour de moi. Dans l’open-space, les claviers cliquettent comme à l’ordinaire. Personne ne semble me regarder avec un air attendri – ou moqueur. La vie semble continuer pour les autres, alors que mes joues me brûlent. J’imagine un moment mon père, sourire aux lèvres et main tendue vers mes collègues pour se présenter. J’entrevois les sourcils interrogateurs de Julie, la moue moqueuse de Clément, et le silence circonspect de tous les autres. Je dois éviter ça. Je crispe ma main sur le combiné et me vautre sur mon bureau, la main devant la bouche.

– Je suis en bas, me dit mon père.
– Je sais, je murmure.
– Je passais dans le quartier, alors je me suis dit que je pourrais venir te voir, et en profiter pour visiter le journal !

Rectifions quelques détails:
Mon père habite à Lyon. Il ne « passe » pas dans le quartier par hasard. Mon père a un téléphone portable, avec mon numéro de téléphone inscrit dedans. S’il utilise le standard pour me joindre, c’est pour montrer sa légitimité à l’accueil, et peut-être me bloquer un peu. Ce qui se passe, c’est que mon père a le souvenir de moi, jouant sur ses genoux à son travail. Il ne comprend pas pourquoi je ne le lui rend pas maintenant. Ce n’est pas son premier attentat envers moi. Pourtant, il a fait l’objet d’une longue formation de ma part. Mais il n’a jamais respecté la consigne implicite que tous les parents d’adolescents connaissent, et qui consiste à ne pas se montrer devant le collège, de rester caché à l’angle, là-bas.

Je crois que ma mère aussi rêve de se pointer au journal avec un goûter pour moi. La différence, c’est qu’elle n’ose pas. Alors elle est devenu mon troll personnel, en se glissant discrètement dans la vie de la rédaction par toutes les failles numériques possible. Elle a commencé par commenter l’intégralité des articles que j’écrivais. Puis, elle s’est mise à Twitter, pour suivre mes collègues et mes chefs, et me retweeter le plus souvent possible. Ma cheffe MAP n’a pas tardé à la détecter, ni à élucider son identité. Elle s’est moqué, et les autres avec elle. J’ai supplié ma mère d’arrêter, et de m’ignorer autant que possible. Elle s’est vexée.

Pendant ce temps, les autres continuaient à ricaner en me montrant du doigt. Mais en grattouillant, je me suis aperçu que je n’étais pas seule à avoir des parents. Ma collègue Lucie raconte par exemple que son cher papa rédige des newsletters familiale, avec les liens vers ses posts de blogs et divers articles, pour que tout le monde puisse en profiter. La grand-mère de Matthieu a créé une alerte Google pour ne rien rater de ses articles sur L’Express. Voilà quelques anecdotes, en vrac et non exhaustives (j’ai trié mes mails et j’en ai perdu plein! C’est pas de ma faute, c’est à cause du ménage de printemps!).

Eric: Mes parents ne me lisent pas. Disent-ils. Mais mon père, bougon, m’a enjoint de ne plus répondre aux trolls qui viennent m’insulter sur mon blog: « Ca t’avance à quoi, laisse-les parler! » Bref, il ne me lit pas, il lit mes commentaires. Vexant.

Marie Amélie: Ma grand-mère suit Christophe Barbier. Elle regarde ses éditos vidéo. Elle le trouve intelligent, « il a l’air très fin.. et gentil, comme garçon. »
Elle me demande s’il est sympathique. Si je le vois souvent. Si je peux lui dire de ne plus porter sa montre sur sa chemise.
Elle veut savoir s’il est de droite ou de gauche et si je peux lui poser la question.
En fait, ma grand-mère préférerait avoir Christophe Barbier comme petit-fils.

Matthieu: Mes parents me disent : « tu n’a pas été très gentil avec xxx » (remplacer par le nom de n’importe quel politique)

Anais: Ma mère a du mal à comprendre que des journalistes puissent travailler uniquement sur Internet. Pour elle, tout ce que j’écris est voué à disparaître dans les méandres de la Toile, alors elle imprime certains de mes articles qu’elle regroupe dans un gros classeur jaune, « pour garder une trace ». Quand elle veut montrer ce que je fais aux gens, plutôt que d’aller chercher le pc, elle sort le classeur.

Marie: Comme je ne vois pas souvent mon père, il n’a jamais trop su où j’en étais de mes études. Un jour, il m’a appelée, très excité, pour me dire que « par hasard en cliquant sur un article dans Google actualité, il est tombé sur un article », et oh la la quelle surprise, c’était moi qui l’avais écrit. C’est donc sur lexpress.fr qu’il a compris que j’étais bel et bien journaliste.

Alexia: Ma mère s’est recadrée d’elle même au fur et à mesure de mes différents passages dans des rédacs web, mais c’est vrai que les débuts ont été épiques.
Notamment ce jour où elle avait répondu à la Newsletter du site en pensant s’adresser à moi. Ça donnait un truc du style « Ici il fait froid mais Mamie va bien, on t’embrasse tous » (j’étais en stage à l’étranger). Atterri, donc, dans la boîte mail du rédac chef, qui a fini par me le transférer avec la mention « euh… je crois que c’est pour toi… »

Julie: Un jour, au tout début de mon contrat à L’Express, mon père a commenté un de mes articles. Il pensait m’envoyer une sorte de message privé…. « Bravo ma pupuce », disait texto son message. Mon rédacteur en chef a fait une blague sur le sujet. Je suis devenue cramoisie.

Caroline: Moi, mes parents ne me lisent pas mais ma grand-mère est ma première fan. Elle me demande régulièrement quand je vais écrire un livre… La dernière fois, elle m’a demandé de lui faire un raccourci sur ma page de membre comme ça elle ne ratera aucun de mes articles. Elle y va tous les jours et si j’oublie de signer un papier ou que je n’ai pas écrit de papier, elle me fait la remarque, genre dis-donc tu glandes rien…
Et comme MAP, elle est trop fan de Barbier: à chaque fois que je la vois elle me demande: « tu le connais Christophe Barbier? », « il a l’air très gentil » « c’est bien ce qu’il dit »… Et quand je lui ai dit qu’il venait du petit village à côté de chez elle, elle a eu des coeurs dans les yeux, genre « j’aurais pu le croiser ». Je crois qu’à la fête des grands-mères je lui offrirai un autographe.

Adrien: Mon père est très prévoyant., il aime bien savoir avec qui je travaille. A L’Express, c’est facile : il a accès aux profils de tous les journalistes. Ce qui lui fait dire: « Mais il y a beaucoup de filles à ton boulot, et elles sont toutes jeunes et mignonnes… tu pourrais me les présenter quand même! »

(PS: Ce post de blog a l’air d’être tout à fait hors actu. Ce n’est pas vraiment le cas. Il devait paraître le jour de la fête des pères, mais les aléas de la vie aidant, j’ai pris un peu de retard. Je compte donc sur l’effet « longue traîne » de Google, et je compte aussi me positionner très tôt sur la fête des pères de l’année prochaine. En fait je ne suis pas en retard du tout.)


Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Latest Images





Latest Images